Info EMC đ° : Salafistes, djihadistes⊠Les diffĂ©rences entre les groupes radicaux islamistes
Salafistes, djihadistes⊠Les différences entre les groupes radicaux islamistes

Cette tribune, initialement publiée le 01/12/15, a été mise à jour le 21/07/16. Article édité et parrainé par Rozenn Le Carboulec, parue dans Nouvel Observateur Le Plus.
ă Au moment oĂč la France enterre encore ses morts victimes du terrorisme, le monde arabo-musulman vit quotidiennement les affres de la guerre civile sur fond de lutte sans merci entre divers courants religieux se rĂ©clamant tous de lâIslam pur et dur.
Outre la guerre entre Sunnites et Chiites, sĂ©vit Ă lâintĂ©rieur mĂȘme de chaque courant des groupes plus radicaux les uns que les autres dont les noms remontent Ă la surface de lâactualitĂ© de temps en temps mais dont lâidentitĂ© demeure mal connue du grand public.
Les FrĂšres musulmans
Originellement, les FrĂšres musulmans sont une confrĂ©rie soufie dont le fondateur, Hassan Al-Banna (1906-1949), voulait revivifier lâIslam avec une nouvelle spiritualitĂ© et une Ă©ducation religieuse en phase avec son Ă©poque, et cela pour pallier le retard des musulmans sur lâOccident. Ainsi, la confrĂ©rie a mis en place un programme dâaction sociale et Ă©ducative, de type solidaire (entraide, santĂ©, charitĂ©, etc.) qui lui a permis dâavoir un ancrage populaire rapide, profond et durable.
Avec le « Printemps arabe » (2011), les FrĂšres musulmans ont optĂ© pour une participation au processus dĂ©mocratique et lâont emportĂ© un peu partout lors des premiĂšres Ă©lections libres (en Ăgypte, en Tunisie, au Maroc, en LibyeâŠ). Ils ont donnĂ© naissance Ă une sĂ©rie de partis politiques mais ont rapidement montrĂ© leurs limites au gouvernement, ce qui a entraĂźnĂ© une rĂ©action populaire et/ou militaire.
AprĂšs la destitution du seul prĂ©sident frĂ©riste jamais Ă©lu (lâĂgyptien Mohamed Morsi), le courant radical des FrĂšres musulmans, dit « courant qutbiste », a pris le dessus sur les autres courants, faisant dĂ©river le mouvement des FrĂšres musulmans vers la lutte armĂ©e puis vers le terrorisme.
Les salafistes
Le salafisme est lâun des plus anciens mouvements rĂ©formistes de lâIslam puisquâil a Ă©tĂ© initiĂ© par le thĂ©ologien Ibn Taymiyya (mort en 1328). Ses partisans veulent vivre comme les « salafs », câest-Ă -dire comme la premiĂšre gĂ©nĂ©ration de musulmans du premier siĂšcle de lâIslam (VIIe siĂšcle ap. J.-C.), dâoĂč leur nom de « salafistes ».
Câest donc un mouvement traditionaliste, passĂ©iste, qui aspire Ă islamiser la sociĂ©tĂ© non pas dans le sens dâune adaptation Ă son Ă©poque (la modernitĂ©) mais dans le sens dâune conformitĂ© au passĂ© (la tradition), Ă lâimage dâun Ăąge dâor rĂȘvĂ© de piĂ©tĂ© et de gloire.
Câest pourquoi, on trouve parmi les salafistes, aussi bien des « piĂ©tistes », qui refusent toute participation Ă la vie politique, que des « Ă©rudits », qui ne voient le salut que dans la lecture du Coran et des traditions prophĂ©tiques, ou encore des « activistes », qui veulent imposer Ă la sociĂ©tĂ© une maniĂšre de vivre et de penser Ă des annĂ©es lumiĂšres de la modernitĂ©.
Câest cette derniĂšre catĂ©gorie de salafistes (les activistes) qui est la plus visĂ©e en Occident parce quâelle est de nature prosĂ©lyte et quâelle tend Ă se rapprocher des autres fondamentalistes pour imposer ses vues.
Les wahhabites
Le wahhabisme est lâune des bifurcations du salafisme puisquâil a Ă©tĂ© fondĂ© par le thĂ©ologien Mohammed Ibn Abd Al-Wahhab au dĂ©but du XVIIIe siĂšcle dans la pĂ©ninsule arabique. Ce mouvement a Ă©tĂ© Ă©galement le premier Ă offrir aux dĂ©fenseurs de lâislamisme un modĂšle spirituel et pratique dâalliance entre le politique (Ibn Saoud) et le religieux (Ibn Abd Al-Wahhab) pour la fondation dâun « Ătat islamique » stable et durable (lâArabie saoudite actuelle).
Mais le wahhabisme est considĂ©rĂ© comme le plus rigoriste des mouvements salafistes contemporains parce quâil est fondĂ© sur une interprĂ©tation littĂ©rale du Coran. AprĂšs la guerre du Golfe (1991), il a donnĂ© lieu Ă un ensemble dâorganisations islamistes radicales qui se rĂ©clament de « lâUnicitĂ© » (TawhĂźd) et qui vont rejoindre progressivement les rangs dâAl-QaĂŻda.
GrĂące Ă la puissance financiĂšre et Ă lâattractivitĂ© spirituelle de lâArabie saoudite, terre des deux Lieux Saints de lâIslam (La Mecque et MĂ©dine), le wahhabisme a essaimĂ© un peu partout dans le monde et continue de gagner du terrain face Ă son concurrent direct sur le plan doctrinal et thĂ©ologique, le courant frĂ©riste (des FrĂšres musulmans).
Les takfiristes
Les takfiristes sont des islamistes radicaux qui se distinguent par le lancement dâaccusation de « Takfir » contre dâautres musulmans. Ce mot signifie littĂ©ralement en arabe le fait de traiter quelquâun de « mĂ©crĂ©ant » (kĂąfir) et, par consĂ©quent, de lui ĂŽter toutes les garanties et les protections associĂ©es Ă son statut de musulman. En le dĂ©signant comme « kĂąfir » (mĂ©crĂ©ant, hĂ©rĂ©tique), les Takfiristes rendent licites son assassinat, lâexpropriation de ses biens, ou encore le divorce forcĂ© de son Ă©pouse, comme cela sâest passĂ© avec le penseur Ă©gyptien Nasr Hamed Abou Zeid en 1995.
Les takfiristes sâinspirent de Sayyid Qutb, lâun des idĂ©ologues Ă©gyptiens les plus connus de la mouvance islamiste, condamnĂ© Ă mort en 1966 par les autoritĂ©s Ă©gyptiennes. Il est Ă lâorigine de cette forme dâislamisme radical qui procĂšde par « anathĂ©misation » (takfir) et qui appelle Ă la « guerre sainte » (jihad) contre dâautres musulmans sâils ne suivent pas les enseignements de lâislam ou sâils nâappliquent pas strictement la charia. Cette idĂ©ologie sera Ă lâorigine de plusieurs groupuscules armĂ©s et inspire toujours de nombreux jihadistes dans le monde.
Les jihadistes
Le jihadisme nâest pas nouveau mais il a connu un essor fulgurant depuis la fin des annĂ©es 1980, avec la montĂ©e en puissance des groupes dâanciens « Afghans », Ă commencer par le groupe des « Afghans algĂ©riens » qui donnĂšrent naissance, dans les annĂ©es 1990, au GIA (Groupe islamique armĂ©) avec lâhorreur que lâon connaĂźt de la guerre civile algĂ©rienne (1992-2002) et de la vague dâattentats de 1995 Ă Paris.
Les jihadistes considĂšrent le « jihĂąd / djihad » (guerre sainte, lutte armĂ©e) comme une obligation individuelle (fard âayn) qui sâimpose Ă tout musulman Ă partir du moment oĂč il estime que lâIslam est menacĂ© ou que les musulmans sont attaquĂ©s. Les jihadistes se font connaĂźtre lors des conflits armĂ©s et prospĂšrent Ă chaque fois quâun Ătat musulman est frappĂ© ou envahi par une puissance Ă©trangĂšre (occidentale), car ils se prĂ©sentent alors comme les « dĂ©fenseurs » de la communautĂ© musulmane (Oumma).
Les qaĂŻdistes
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, Al-QaĂŻda est la plus importante et la plus connue des organisations jihadistes. Elle est composĂ©e dâislamistes radicaux sunnites, majoritairement passĂ©s par lâAfghanistan pour combattre contre les SoviĂ©tiques dans les annĂ©es 1980. Puis, aprĂšs la chute de lâUnion soviĂ©tique (1990), ces « Moudjahidines » virent de bord et prennent lâOccident comme cible parce que celui-ci aurait « souillĂ© » la terre sainte de lâIslam (la pĂ©ninsule Arabique) lors de la guerre du Golfe (1991) et sâest mis à « piller » les ressources naturelles des pays musulmans.
Depuis, lâobjectif dâAl-QaĂŻda est de cibler les Occidentaux et leurs alliĂ©s, partout dans le monde (terrorisme global), afin que ceux-ci cessent leur ingĂ©rence dans les pays musulmans et leur soutien aux rĂ©gimes pro-occidentaux. Mais aprĂšs la mort de son fondateur, Ben Laden, Al-QaĂŻda a dĂ©clinĂ© face Ă la montĂ©e en puissance de « lâĂtat islamique » qui leur a non seulement volĂ© la vedette mais aussi lâessentiel de leurs combattants.
Les califatistes
Les califatistes sont les partisans de lâorganisation de Daech qui a annoncĂ© la restauration du « Califat islamique » en juin 2014, soit 90 ans aprĂšs son abolition par Kemal AtatĂŒrk (en 1924). Ceux-ci estiment que la communautĂ© musulmane ne peut vivre sans « calife », câest-Ă -dire sans guide temporel et spirituel commun. Ils invoquent pour cela le fait que les musulmans ont toujours vĂ©cu sous lâautoritĂ© dâun « calife » (successeur du ProphĂšte), mĂȘme sâils Ă©taient soumis politiquement Ă lâautoritĂ© de divers souverains.
On distingue parmi les califatistes deux courants concurrents. Dâun cĂŽtĂ©, ceux qui veulent unifier les territoires musulmans (DĂąr al-Islam) sous une mĂȘme autoritĂ© politique dans le cadre dâune « confĂ©dĂ©ration » dâĂmirats ayant chacun Ă sa tĂȘte un « Ămir ». Dâun autre cĂŽtĂ©, ceux qui veulent unifier les fidĂšles musulmans â et pas nĂ©cessairement les territoires â sous une mĂȘme autoritĂ© spirituelle dans le cadre dâune « union » dâĂtats indĂ©pendants (confĂ©dĂ©ration).
Pour cela, les uns promeuvent un « jihad dĂ©territorialisĂ© » qui efface les frontiĂšres existantes considĂ©rĂ©es comme artificielles et imposĂ©es par lâOccident pour diviser les musulmans ; les autres sont favorables Ă un « jihad territorialisĂ© », câest-Ă -dire menĂ© dans le cadre des Ătats existants. Mais dans les deux cas, les moyens dâaction sont le recours Ă la propagande et Ă la violence, notamment aux massacres et aux actions terroristes pour atteindre leurs objectifs politiques.
Nous voyons bien que ce qui les distingue des autres factions jihadistes et takfiristes, quâils ont intĂ©grĂ©es dans leur rang, est lâassignation, inĂ©dite dans lâhistoire de lâislamisme radical contemporain, dâun objectif politique et territorial, consistant en lâinstauration dâun califat Ă cheval sur la Syrie et lâIrak. En mettant en avant cet objectif politique, ils fĂ©dĂšrent lâensemble des militants islamistes qui Ă©taient jusque-lĂ engagĂ©s plutĂŽt dans une lutte quelque peu nihiliste, en lâabsence dâun but prĂ©cis et rĂ©alisable. Câest cette idĂ©e (califat) qui sera difficile Ă dĂ©raciner par la seule action militaire, en lâabsence de projet politique pour les populations locales.ă.
Extrait de GuidĂšre M., « Terreur : la nouvelle Ăšre », Ăditions Autrement, 2015, pp. 237-246.
Professeur des universitĂ©s et agrĂ©gĂ© dâarabe. Il a Ă©tĂ© tour Ă tour professeur rĂ©sident Ă lâĂcole spĂ©ciale militaire de Saint-Cyr (de 2003 Ă 2007), puis professeur dĂ©tachĂ© Ă lâUniversitĂ© de GenĂšve (de 2007 Ă 2011), avant dâĂȘtre nommĂ© professeur dâislamologie Ă lâUniversitĂ© de Toulouse 2 (depuis 2011). Il est spĂ©cialiste des groupes islamistes et il a publiĂ© de nombreux ouvrages sur les questions liĂ©es Ă la radicalisation et au terrorisme. Son dernier ouvrage vient de paraĂźtre aux Ăditions du Rocher, il sâintitule : « Sexe et Charia » (paru le 27 mai 2014).