samedi 15 juin 2019

Info EMC 📰 : Salafistes, djihadistes… Les différences entre les groupes radicaux islamistes

Info EMC 📰 : Salafistes, djihadistes… Les différences entre les groupes radicaux islamistes

Salafistes, djihadistes… Les différences entre les groupes radicaux islamistes
6631401179421.jpgUn article qui propose de revoir les définitions des différents courants religieux de l’islam, par Mathieu Guidère, professeur d’islamologie, vocabulaires que l’on évoquera au cours du chapitre sur la question des enjeux et des conflits au Moyen OrientMais quels sont exactement ces différents courants radicaux ? À quel(s) mouvement(s) s’identifie Daech ? Mise au point du professeur d’islamologie Mathieu Guidère.

Cette tribune, initialement publiée le 01/12/15, a été mise à jour le 21/07/16. Article édité et parrainé par Rozenn Le Carboulec, parue dans Nouvel Observateur Le Plus.
《 Au moment où la France enterre encore ses morts victimes du terrorisme, le monde arabo-musulman vit quotidiennement les affres de la guerre civile sur fond de lutte sans merci entre divers courants religieux se réclamant tous de l’Islam pur et dur.
Outre la guerre entre Sunnites et Chiites, sévit à l’intérieur même de chaque courant des groupes plus radicaux les uns que les autres dont les noms remontent à la surface de l’actualité de temps en temps mais dont l’identité demeure mal connue du grand public.
Les Frères musulmans
Originellement, les Frères musulmans sont une confrérie soufie dont le fondateur, Hassan Al-Banna (1906-1949), voulait revivifier l’Islam avec une nouvelle spiritualité et une éducation religieuse en phase avec son époque, et cela pour pallier le retard des musulmans sur l’Occident. Ainsi, la confrérie a mis en place un programme d’action sociale et éducative, de type solidaire (entraide, santé, charité, etc.) qui lui a permis d’avoir un ancrage populaire rapide, profond et durable.
Avec le « Printemps arabe » (2011), les Frères musulmans ont opté pour une participation au processus démocratique et l’ont emporté un peu partout lors des premières élections libres (en Égypte, en Tunisie, au Maroc, en Libye…). Ils ont donné naissance à une série de partis politiques mais ont rapidement montré leurs limites au gouvernement, ce qui a entraîné une réaction populaire et/ou militaire.
Après la destitution du seul président frériste jamais élu (l’Égyptien Mohamed Morsi), le courant radical des Frères musulmans, dit « courant qutbiste », a pris le dessus sur les autres courants, faisant dériver le mouvement des Frères musulmans vers la lutte armée puis vers le terrorisme.
Les salafistes
Le salafisme est l’un des plus anciens mouvements réformistes de l’Islam puisqu’il a été initié par le théologien Ibn Taymiyya (mort en 1328). Ses partisans veulent vivre comme les « salafs », c’est-à-dire comme la première génération de musulmans du premier siècle de l’Islam (VIIe siècle ap. J.-C.), d’où leur nom de « salafistes ».
C’est donc un mouvement traditionaliste, passéiste, qui aspire à islamiser la société non pas dans le sens d’une adaptation à son époque (la modernité) mais dans le sens d’une conformité au passé (la tradition), à l’image d’un âge d’or rêvé de piété et de gloire.
C’est pourquoi, on trouve parmi les salafistes, aussi bien des « piétistes », qui refusent toute participation à la vie politique, que des « érudits », qui ne voient le salut que dans la lecture du Coran et des traditions prophétiques, ou encore des « activistes », qui veulent imposer à la société une manière de vivre et de penser à des années lumières de la modernité.
C’est cette dernière catégorie de salafistes (les activistes) qui est la plus visée en Occident parce qu’elle est de nature prosélyte et qu’elle tend à se rapprocher des autres fondamentalistes pour imposer ses vues.
Les wahhabites
Le wahhabisme est l’une des bifurcations du salafisme puisqu’il a été fondé par le théologien Mohammed Ibn Abd Al-Wahhab au début du XVIIIe siècle dans la péninsule arabique. Ce mouvement a été également le premier à offrir aux défenseurs de l’islamisme un modèle spirituel et pratique d’alliance entre le politique (Ibn Saoud) et le religieux (Ibn Abd Al-Wahhab) pour la fondation d’un « État islamique » stable et durable (l’Arabie saoudite actuelle).
Mais le wahhabisme est considéré comme le plus rigoriste des mouvements salafistes contemporains parce qu’il est fondé sur une interprétation littérale du Coran. Après la guerre du Golfe (1991), il a donné lieu à un ensemble d’organisations islamistes radicales qui se réclament de « l’Unicité » (Tawhîd) et qui vont rejoindre progressivement les rangs d’Al-Qaïda.
Grâce à la puissance financière et à l’attractivité spirituelle de l’Arabie saoudite, terre des deux Lieux Saints de l’Islam (La Mecque et Médine), le wahhabisme a essaimé un peu partout dans le monde et continue de gagner du terrain face à son concurrent direct sur le plan doctrinal et théologique, le courant frériste (des Frères musulmans).
Les takfiristes
Les takfiristes sont des islamistes radicaux qui se distinguent par le lancement d’accusation de « Takfir » contre d’autres musulmans. Ce mot signifie littéralement en arabe le fait de traiter quelqu’un de « mécréant » (kâfir) et, par conséquent, de lui ôter toutes les garanties et les protections associées à son statut de musulman. En le désignant comme « kâfir » (mécréant, hérétique), les Takfiristes rendent licites son assassinat, l’expropriation de ses biens, ou encore le divorce forcé de son épouse, comme cela s’est passé avec le penseur égyptien Nasr Hamed Abou Zeid en 1995.
Les takfiristes s’inspirent de Sayyid Qutb, l’un des idéologues égyptiens les plus connus de la mouvance islamiste, condamné à mort en 1966 par les autorités égyptiennes. Il est à l’origine de cette forme d’islamisme radical qui procède par « anathémisation » (takfir) et qui appelle à la « guerre sainte » (jihad) contre d’autres musulmans s’ils ne suivent pas les enseignements de l’islam ou s’ils n’appliquent pas strictement la charia. Cette idéologie sera à l’origine de plusieurs groupuscules armés et inspire toujours de nombreux jihadistes dans le monde.
Les jihadistes
Le jihadisme n’est pas nouveau mais il a connu un essor fulgurant depuis la fin des années 1980, avec la montée en puissance des groupes d’anciens « Afghans », à commencer par le groupe des « Afghans algériens » qui donnèrent naissance, dans les années 1990, au GIA (Groupe islamique armé) avec l’horreur que l’on connaît de la guerre civile algérienne (1992-2002) et de la vague d’attentats de 1995 à Paris.
Les jihadistes considèrent le « jihâd / djihad » (guerre sainte, lutte armée) comme une obligation individuelle (fard ‘ayn) qui s’impose à tout musulman à partir du moment où il estime que l’Islam est menacé ou que les musulmans sont attaqués. Les jihadistes se font connaître lors des conflits armés et prospèrent à chaque fois qu’un État musulman est frappé ou envahi par une puissance étrangère (occidentale), car ils se présentent alors comme les « défenseurs » de la communauté musulmane (Oumma).
Les qaïdistes
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, Al-Qaïda est la plus importante et la plus connue des organisations jihadistes. Elle est composée d’islamistes radicaux sunnites, majoritairement passés par l’Afghanistan pour combattre contre les Soviétiques dans les années 1980. Puis, après la chute de l’Union soviétique (1990), ces « Moudjahidines » virent de bord et prennent l’Occident comme cible parce que celui-ci aurait « souillé » la terre sainte de l’Islam (la péninsule Arabique) lors de la guerre du Golfe (1991) et s’est mis à « piller » les ressources naturelles des pays musulmans.
Depuis, l’objectif d’Al-Qaïda est de cibler les Occidentaux et leurs alliés, partout dans le monde (terrorisme global), afin que ceux-ci cessent leur ingérence dans les pays musulmans et leur soutien aux régimes pro-occidentaux. Mais après la mort de son fondateur, Ben Laden, Al-Qaïda a décliné face à la montée en puissance de « l’État islamique » qui leur a non seulement volé la vedette mais aussi l’essentiel de leurs combattants.
Les califatistes
Les califatistes sont les partisans de l’organisation de Daech qui a annoncé la restauration du « Califat islamique » en juin 2014, soit 90 ans après son abolition par Kemal Atatürk (en 1924). Ceux-ci estiment que la communauté musulmane ne peut vivre sans « calife », c’est-à-dire sans guide temporel et spirituel commun. Ils invoquent pour cela le fait que les musulmans ont toujours vécu sous l’autorité d’un « calife » (successeur du Prophète), même s’ils étaient soumis politiquement à l’autorité de divers souverains.
On distingue parmi les califatistes deux courants concurrents. D’un côté, ceux qui veulent unifier les territoires musulmans (Dâr al-Islam) sous une même autorité politique dans le cadre d’une « confédération » d’Émirats ayant chacun à sa tête un « Émir ». D’un autre côté, ceux qui veulent unifier les fidèles musulmans – et pas nécessairement les territoires – sous une même autorité spirituelle dans le cadre d’une « union » d’États indépendants (confédération).
Pour cela, les uns promeuvent un « jihad déterritorialisé » qui efface les frontières existantes considérées comme artificielles et imposées par l’Occident pour diviser les musulmans ; les autres sont favorables à un « jihad territorialisé », c’est-à-dire mené dans le cadre des États existants. Mais dans les deux cas, les moyens d’action sont le recours à la propagande et à la violence, notamment aux massacres et aux actions terroristes pour atteindre leurs objectifs politiques.
Nous voyons bien que ce qui les distingue des autres factions jihadistes et takfiristes, qu’ils ont intégrées dans leur rang, est l’assignation, inédite dans l’histoire de l’islamisme radical contemporain, d’un objectif politique et territorial, consistant en l’instauration d’un califat à cheval sur la Syrie et l’Irak. En mettant en avant cet objectif politique, ils fédèrent l’ensemble des militants islamistes qui étaient jusque-là engagés plutôt dans une lutte quelque peu nihiliste, en l’absence d’un but précis et réalisable. C’est cette idée (califat) qui sera difficile à déraciner par la seule action militaire, en l’absence de projet politique pour les populations locales.》.
Extrait de Guidère M., « Terreur : la nouvelle ère », Éditions Autrement, 2015, pp. 237-246.
 Mathieu Guidère Professeur d’islamologieExpert

Professeur des universités et agrégé d’arabe. Il a été tour à tour professeur résident à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr (de 2003 à 2007), puis professeur détaché à l’Université de Genève (de 2007 à 2011), avant d’être nommé professeur d’islamologie à l’Université de Toulouse 2 (depuis 2011). Il est spécialiste des groupes islamistes et il a publié de nombreux ouvrages sur les questions liées à la radicalisation et au terrorisme. Son dernier ouvrage vient de paraître aux Éditions du Rocher, il s’intitule : « Sexe et Charia » (paru le 27 mai 2014).

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