Info Histoire Terminale : étudier le fascisme japonais à partir d’extraits du film d’Akira Kurosawa « Le plus dignement »
Analyse d’un film japonais « Le plus dignement » de Akira Kurosawa par Jean Louis Margolin professeur de l’université d’Aix-en-Provence.
« J’ai vu à Aix-en-Provence à la Cité des Images (à côté de la bibliothèque Méjanes) le premier film du grand cinéaste japonais Akira Kurosawa. Son titre : « Le plus dignement ». C’est une des très rares œuvres de propagande du Japon des années de guerre à parvenir jusqu’à nous. Si vous voulez savoir ce qu’était le fascisme japonais, vu de l’intérieur, et par un de ses partisans d’alors (viré très à gauche après 45, comme beaucoup d’autres intellectuels et artistes nippons), courez-y (encore deux séances, pour ceux qui seraient sur place : 22 mars 14h, 24 mars 20h). Fascinant, même si écoeurant. J’en venais à souhaiter que tous ces gentils héros (ou plutôt héroines) de la production patriotique (l’empereur n’est jamais mentionné, la patrie constamment, avec références à l’invasion « chinoise » -en fait mongole- repoussée en 1281 à l’aide du premier kami kaze… ) reçoivent une grosse belle bombe sur le coin de la figure. Comme quoi ça remet dans l’ambiance… Décryptage (pas évident pour le spectateur contemporain): une classe de lycéennes mobilisées dans le Japon aux abois (1944), prof en tête, pour servir dans une usine d’armements (la plupart des universités et lycées avaient alors fermé dans ce but, les garçons les plus âgés rejoignant l’armée, et en particulier les kamikazes modernes). Le discours initial du directeur d’usine, dont on dirait qu’il fait la doublure en japonais d’un discours d’Hitler, devant les garçons etfilles-ouvriers aux traits enfantins, au garde à vous, est un morceau d’anthologie.
Ce film peut vraiment aider à saisir la nature profonde du fascisme. Pas de violence autre que symbolique, pas de parti politique corsetant la société ou d’adoration du Chef, mais une militarisation absolue de la vie quotidienne (tous les déplacements dans la ville se font en groupe, au pas cadencé, avec orchestre ou chant patriotique), un dévouement total à l’Etat et à la guerre, qui doit faire taire tout sentiment personnel (on annonce à une fille la mort de sa mère, en lui offrant de rejoindre son père éploré : elle supplie qu’on la laisse retourner immédiatement au travail), une mobilisation robotisée de tous les instants. De gros mensonges bien sûr : aucune allusion à l’alimentation, alors que le Japon commence à subir la famine ; aucun doute exprimé d’aucune sorte, alors qu’il y en avait de plus en plus, au moins sur la façon de mener la guerre, sinon sur son bien fondé. Mais le film montre comment fonctionne un totalitarisme, dans sa variante fasciste. »