samedi 2 mars 2019

Mahomet l’Européen : histoire des représentations du Prophète en Occident

Compte-rendu de conférence des RVH de Blois, 2018, © Annie de Nicola pour les Clionautes

Mahomet l’Européen : histoire des représentations du Prophète en Occident
John Tolan est un historien franco américain, professeur d’histoire médiévale et spécialiste du monde méditerranéen médiéval, à l’université de Nantes. Diplômé de Yale, puis de l’Ecole des hautes études en sciences sociales à Paris (HDR en 2000), membre de l’Academia Europaea. C’est une grande fierté pour notre université française d’avoir un médiéviste remarquable, maîtrisant par ailleurs plusieurs langues.


Il est l’initiateur et le directeur du programme Relmin un projet financé par l’Union européenne, un projet de recherche financé par le Conseil européen de la Recherche avec un certain nombre de défis et d’enjeux proposés comme celui d’étudier « le statut légal des minorités religieuses dans l’espace méditerranéen (Ve-XVe siècles) ». Ce projet Relmin a pour but d’encadrer des jeunes chercheurs et des doctorants, de franchir les barrières entre les disciplines et les traditions érudites confessionnelles, d’enrichir les débats sociaux avec la connaissance de la longue histoire de la cohabitation religieuse.

Le site internet de Relmin[1] est un outil extraordinaire à partir duquel on trouvera une très riche base de données sur le statut des minorités religieuses. Il s’agit d’un ensemble de textes mis en ligne écrits en latin, en arabe, en hébreu et en d’autres langues de l’époque médiévale traduits en français, avec un commentaire historique pour chacun d’eux, une bibliographie, une somme de documents mis à la disposition du public gratuitement qui est indispensable à regarder pour préparer cette question mise au concours et pour les nouveaux programmes de seconde, pour l’instant provisoire à l’heure de ce compte-rendu.

John Tolan sera bientôt à la tête d’un important projet de recherche européen. Un programme intitulé « EuQu » (The European Qur’an) consacré à l’étude du coran et à son influence dans la culture européenne à l’époque médiévale et moderne.

Présentation : Images et représentation de Mahomet par les Occidentaux

ll nous propose une lecture différente sur Mahomet, vue à travers une histoire des représentations du prophète en Occident, une réflexion issue d’une longue carrière de chercheur. John Tolan commence par le rappel d’un épisode d’après une chronique du XVe siècle [2] , un « pseudo-prophète des Maures », pour illustrer une dénonciation du faux prophète, afin de justifier la sujétion des musulmans d’Espagne aux chrétiens de Castille. Il s’agissait d’un simulacre de bataille organisé par le gouverneur de la ville de Jaén, vers 1462, en demandant à ces deux cents combattants de se partager en deux groupes, dont l’un devait se déguiser en Maure avec la tenue et la barbe en postiche. A partir d’un faux motif rédigé par le connétable don Miguel Lucas de Iranzo qui fait dire dans la bouche du faux représentant du roi de Maroc, dirigeant la fausse armée « Maure » que la bataille doit être engagée car les habitants du royaume de Grenade se seraient plaint de l’absence de protection du prophète Mahomet. Donc le faux représentant du roi du Maroc « est venu se conformer à la loi chrétienne et proposer un affrontement entre chevaliers marocains et chrétiens ». La bataille a duré trois heures de joutes aboutissant à un résultat prévisible celui de la défaite des armées maures et le chevalier incarnant le roi du Maroc dit ceci :
« Vous avez gagné, votre Dieu vous aide à l’emporter, alors mes Maures renégats et moi-même, nous répudierons notre prophète Mahamad et les livres de notre loi que j’ai apportés avec moi… ».
Ainsi « des juristes et des chroniqueurs dénigraient le prophète de l’islam pour légitimer la conquête de terres musulmanes et la soumission des sujets musulmans au pouvoir des rois chrétiens ».[3]
Image de Delacroix Eugène Delacroix, étude pour « Mahomet et son ange », dessin et aquarelle, XIXe siècle, Paris, musée du Louvre)
Puis l’historien soumet un autre exemple sur la représentation par les Occidentaux de Mahomet avec un dessin de Eugène Delacroix, « Mahomet et son ange », dessin aquarellé du XIXe siècle (conservé au musée du Louvre, Paris). Il s’agit d’une étude pour le plafond de la bibliothèque du palais-Bourbon, siège de l’Assemblée nationale à Paris mais le projet ne fut pas retenu. On aperçoit sur ce dessin, Mahomet assis sur une marche, le coude appuyé sur le socle d’une colonne, dans une position qui peut évoquer le sommeil ou la contemplation. Pour John Tolan l’image est ambiguë car on a du mal à trouver la meilleure interprétation mais toutefois l’image donnée de Mahomet est apaisée et non agressive.
A partir de ces deux exemples l’historien montre que la figure de Mahomet pour les Occidentaux est avant tout un objet de fascination ou d’admiration et qu’il occupe une place aussi paradoxale qu’essentielle dans l’imaginaire européen. « Il a tour à tour engendré la peur, la répulsion, la fascination ou l’admiration mais rarement l’indifférence ». L’objet de sa conférence est de nous présenter particulièrement la place de Mahomet et sa représentation dans la culture européenne du Moyen Age à nos jours.
Images et représentation de Mahomet au Moyen Age par les Occidentaux : entre idolâtrie et hérésie
Image de Mahomet dans la Chanson d’Antioche, XIIIe siècle (La chanson d’Antioche, fin XIIIe siècle, Paris, BNF, MS Français 786, F.186v.) (p.201)
John Tolan analyse une première image extraite de la chanson d’Antioche, fin XIIIe siècle, qui relate la prise de la ville lors de la première croisade, conservée à la BNF de Paris, montre Sansadoine, un général sarrasin vaincu, en train d’abattre l’idole Mahomet. L’enluminure représente des Sarrasins idolâtres devant Mahomet, le dessin inséré dans la lettre initiale M de Mahomet. A gauche on distingue les rois sarrasins et à droite du dessin Mahomet représenté sous forme d’une statue attaquée par un chevalier. A travers cette représentation c’est l’évocation du fantasme dans le monde latin de la victoire des croisés sur la religion des Sarrasins avec la symbolique de la destruction des idoles. Dans la partie gauche du dessin, les rois musulmans sont représentés comme les rois chrétiens aux têtes couronnées, les mains jointes vers Mahomet représenté nu et sous la forme d’une statue mais qui est abîmée. John Tolan avance l’hypothèse d’un acte volontaire d’un lecteur contemporain de la chanson d’Antioche ou plus tardif. Ici Mahomet est défié et vaincu.
A travers cet exemple l’historien montre comment l’islam est perçu comme un culte idolâtre et Mahomet représenté comme un des principaux dieux. Cette image de Mahomet est caractéristique de nombreuses chroniques qui racontent la prise de Jérusalem en figurant l’ennemi sous les traits d’un païen idolâtre avec comme dans cette représentation une transposition du culte des saints pratiqué par les chrétiens de manière troublante. Pour John Tolan, une analyse de cette représentation que l’on retrouve détaillée dans son livre, « la nudité de l’idole rappelle clairement la statuaire de l’antiquité gréco-romaine païenne ; elle s’en sert peut-être aussi à différencier cette idole des statues de saints qui auraient qui auraient pu occuper la même place dans une scène de dévotion chrétienne ».[4]

Mahomet prêchant, BNF, MS Français 226, f.243, attribué peut-être à Maître de Rohan)
A la suite de ce premier éclairage sur la représentation médiévale volontairement déformée du représentant du culte de l’islam, l’historien nous présente une autre vision des Latins, un Mahomet charlatan et hérésiarque, à partir d’une autre représentation du prophète, une image de Mahomet prêchant avec une colombe sur l’épaule et parfois complétée par un taureau apportant le coran sur ses cornes ; un thème iconographique renouvelé sur plusieurs siècles à partir d’un récit original recopié par Laurent de Premierfait en 1409, un humaniste vivant à la cour du roi de France Charles VI, qui entreprit de traduire une œuvre de Jean Boccace (1355-1373). Il raconte la vie de Mahomet. Naissance à la Mecque, devenu marchand, Mahomet racontra des juifs et des chrétiens, il épousa « Cadige », il se présenta comme le nouveau messie et sa renommée grandit. L’auteur de cette biographie écrite au XVe siècle rajouta une suite après avoir lu dans un chapitre du « Miroir historial », une traduction en français médiéval d’une chronique encyclopédique rédigée en latin par Vincent de Beauvais au XIIIe siècle »[5] , une histoire étonnante pour discréditer le prophète. En effet Laurent de Premierfait raconte qu’après s’être déclaré prophète, Mahomet aurait dressé une colombe pour venir picorer des grains de blé dans son oreille, il aurait expliqué à la foule surprise de voir l’oiseau se poser sur son épaule et rentrer son bec dans son oreille qu’il aurait expliqué que c’était le Saint Esprit qui serait venu lui parler. Ce récit correspond à toute une tradition littéraire et iconographique entretenue par les auteurs latins à partir du XIIe siècle pour discréditer Mahomet en le présentant comme un faux prophète qui aurait trompé les sarrasins en utilisant un subterfuge.

On retrouve ce même thème du faux prophète dans d’autres exemples iconographiques jusqu’au XVIe siècle avec l’exemple de Mahomet représenté en habit turc pour le dénigrer ou bien dans une traduction du coran en allemand. On retrouve les mêmes éléments de figuration avec la colombe, le taureau, le glaive pour signifier que c’est un faux prophète. Une autre image de l’auteur déjà cité, John Israël de Bry et Jean Théodore de Bry dans Acta Mechmeti I. Saracenorum principis, (1597) évoque une représentation étrange et inattendue de pèlerins en adoration devant le cercueil flottant de Mahomet, une scène imaginaire de miracle pour dénoncer le speudo prophète.

Image du faux prophète dans un cercueil flottant


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